Notre projet. Présentation

Le « dit » est un genre littéraire médiéval absolument majeur, pratiqué par nombre d'auteur.e.s de premier plan (Baudouin et Jean de Condé, Guillaume de Machaut, Jean Froissart, Christine de Pizan), qui traverse tout le Moyen Âge, phénomène rare pour la période. Et pourtant, la définition du « dit » reste le problème le plus célèbre de la réflexion sur les genres littéraires.

Intitulé « Le dit du berceau au tombeau (XIIIe-XVe siècles). Pour une réflexion collective et plurielle », ce projet s’inscrit dans les efforts de définition de certains termes littéraires médiévaux, tels « estoire » (Peter Damian-Grint, 1997 et 1999), « roman » (Francis Gingras, 2011) et « fabliau » (Isabelle Delage-Béland, 2017). Réputé pour sa grande imprécision, le « dit » semble en revanche se laisser appréhender beaucoup plus difficilement, en dépit des quelques caractéristiques retenues par la tradition : des textes en vers, relativement brefs et le plus souvent pris en charge par un « je » qui transmet une certaine vérité. Depuis l’importante étude de Monique Léonard (1996), les médiévistes tendent en effet à délaisser le corpus, peut-être découragés par les « déboires » (Alain Corbellari, 2014) qu’a connus l’auteure du Dit et sa technique littéraire en tentant de cerner les 684 manifestations de la forme telle qu’elle a été pratiquée de ses origines à 1340. De fait, dans la conclusion de son ouvrage, Léonard écrit que « [d]ans son sens le plus large, le dit est une “composition littéraire”; le concept est beaucoup trop imprécis pour répondre à la notion de “genre” », une affirmation qui s’apparente à ce que Paul Zumthor avait énoncé en 1972: « le dit n’est bien définissable ni sur le plan thématique, ni sur le plan formel ». Mais faudrait-il pour autant s’avouer vaincus? Admettre que le dit restera la pierre d’achoppement, le point aveugle des études médiévales ? Ce n’est pas ce que nous croyons.

Le portrait est en effet moins embrouillé qu’il n’y paraît, ce qui nous pousse à poursuivre le travail laissé en friche depuis quelques dizaines d’années. Comme le remarquait Pierre-Yves Badel (1998) dans un commentaire sur Le Dit et sa technique littéraire de Léonard : « Dès lors qu’on renonce à une conception essentialiste, pour ne pas dire biologique, du genre, qui aboutit à exiger de chaque texte qu’il reproduise strictement le modèle générique, les résultats obtenus jusqu’ici par la recherche sur le dit sont plus corroborés que M. Léonard ne le croit par son propre travail. » Il y aurait donc tout intérêt, nous en sommes convaincues aussi, à retraverser le dit et à repenser, de manière plus ouverte, nos manières de le comprendre et de le définir, au-delà du défi que pose la diversité de ses formes et de ses manifestations.

Nous souhaitons au contraire tirer profit de cette impressionnante diversité, du roman L’Escoufle de Jean Renart (ca 1200-1202) au Livre du dit de Poissy de Christine de Pizan (1400), en organisant un événement fédérateur qui reconnaît le dit comme un extraordinaire point de contact entre les médiévistes. Car on exagère à peine en affirmant que tout spécialiste de littérature médiévale, qu’il travaille sur le roman du XIIIe siècle ou sur la lyrique de la fin du XIVe siècle, a déjà croisé une œuvre baptisée « dit ».

Dans le but de mieux comprendre à quoi correspond le dit, cette forme littéraire de langue française dont la vie s’étend du Moyen Âge central (XIIe-XIIIe siècles) au Moyen Âge tardif (XIVe-XVe siècles), nous avons initié une enquête collective et plurielle qui réunira dix présentateurs.trices aux intérêts de recherche complémentaires. Les difficultés à cerner le dit mènent à la nécessité d’ouvrir nos horizons et de l'aborder autrement et collectivement, par différentes perspectives, raison pour laquelle nous encouragerons le décloisonnement des champs de spécialisation (littérature du Moyen Âge central [XIIe-XIIIe siècles] et tardif [XIVe-XVe siècles] ; écriture narrative et écriture lyrique) qui se sont jusqu’ici préoccupés, de manière isolée, du dit. En travaillant de concert, nous poserons un regard diachronique pour retracer les étapes du développement de ce genre, de ses balbutiements à sa disparition à la fin du Moyen Âge, un arc chronologique que n’ont pas retenu les auteur.e.s des principaux ouvrages sur le dit. Quelques grandes questions guideront nos réflexions : quel espace sémantique le terme « dit » occupe-t-il dans le paysage littéraire médiéval ? peut-on définir le « dit » en tant que genre littéraire au même titre que le roman, par exemple ? en quoi les manifestations du dit varient-elles du Moyen Âge central au Moyen Âge tardif ?

Notre enquête se déploiera en deux mouvements : un colloque international qui se tiendra à l’Université Laval les 22 et 23 novembre 2019 et une entreprise de diffusion. Afin de pallier la rareté d’études récentes sur le dit, nous publierons un ouvrage collectif présentant les conclusions du colloque. Notre site web dédié au corpus étudié par les participant.e.s permettra quant à lui de fournir un large accès à ces textes et à leurs manuscrits pendant le colloque et au-delà. Progressivement, le site s’enrichira pour fournir du matériel pédagogique disponibles à tous et à toutes.

Nous envisageons que la retombée scientifique majeure de notre projet, tant pour la médiévistique que pour les études littéraires en général, sera de renouveler la réflexion sur un des genres littéraires les plus importants, mais les plus méconnus de la littérature médiévale, et de montrer que cette dernière peut servir de paradigme général pour une réflexion sur les genres littéraires.

Plus généralement, nous souhaitons que ce projet fédère une communauté de chercheur.e.s du Canada et de l’Europe afin d'ouvrir la voie à d'autres collaborations. Lieu d'échange et de croisement des différentes approches du dit, le colloque que nous organisons promet également d'être un lieu de formation et d'appel pour la relève en études médiévales.


Notre équipe

Isabelle Delage-Béland

Anne Salamon

Kim Labelle

Alex Godin-Bastarache


Remerciements

Ce projet bénéficie du généreux soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), programme Connexion.

Il bénéficie également du soutien de l'Institut d’études anciennes et médiévales de l’Université Laval, de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Laval et du Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval

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